François Gaschon commença son ministère comme vicaire de l’abbé Jacques Savignat à Saint-Amant-Roche-Savine. C’était alors une grosse paroisse de 1.600 âmes, située sur le tracé de la nouvelle route de Clermont à Ambert et Montbrison, laquelle avait été ouverte deux ans plus tôt. Mais au bout d’un an et demi, François part pour Toulouse, à la suite encore de son frère Annet-Marie, pour prendre comme lui ses grades universitaires en droit canonique, ce qui était la condition normale d’accès à une cure de quelque importance.
Bien plus tard, Louis, leur plus jeune frère – pour lors âgé de onze ans –, viendra aussi s’y faire recevoir docteur in utroque iure. François, pour sa part, suit en 1758 et 1759 les cours qui lui permettent de se faire recevoir bachelier en droit canonique le 17 juillet 1760.
À son retour de Toulouse, il ne restera que peu de temps à Saint-Amant-Roche-Savine : il est en effet rapidement nommé vicaire à Saint-Martin de La Chabasse, église principale de la paroisse d’Olliergues ; il demeurera quatre années (1761-1765) dans cette vaste paroisse de 1.700 âmes, dont le curé était l’abbé Jean Chambrotty[1]. Jean-François – il avait pris le prénom du saint du Velay par dévotion envers celui-ci – y laissera déjà la réputation d’un « homme de Dieu ». C’est durant cette période qu’il perd son père. Retiré à Sauxillanges, auprès de sa fille Anne, qui avait épousé Robert Portier, Benoît Gaschon décédait en effet le 6 octobre 1763, âgé de 63 ans ; François avait pu l’assister dans ses derniers instants, et participer à ses obsèques.
Toujours animé par l’exemple de son patron d’adoption, saint Jean-François Régis, François se sentait cependant appelé « au service des campagnes auvergnates auxquelles il voulait apporter l’intelligence de la foi et le secours des sacrements »[2]. C’est pour cette raison qu’il décida de donner une nouvelle orientation à son ministère sacerdotal, en se tournant vers l’œuvre des missions diocésaines.
Cette œuvre jouissait d’une grande réputation dans le diocèse de Clermont, lequel avait été précurseur en ce domaine. L’origine s’en trouvait dans trois maisons fondées au cours du troisième quart du XVIIe siècle : Notre-Dame de Banelle, près de Gannat, Salers, et Notre-Dame de l’Hermitage, près de Noirétable ; maisons dont l’union fut réalisée en 1680. C’est à la maison de Noirétable, située à une vingtaine de kilomètres au nord-est d’Olliergues, que Jean-François demanda son agrégation. Il y eut comme supérieur général, à partir de 1767, Pierre Vray, originaire de Saint-Anthème, qui avait été vicaire dans la région d’Auzelles, avant d’être admis à l’Hermitage en 1745. Organisateur-né, ce prêtre exemplaire devait mourir en 1800, confesseur de la foi.
Logé dans les nouveaux bâtiments achevés peu avant 1750, le postulant participait pleinement à la vie des missionnaires. Le temps de probation durait trois ans. Les missions avaient lieu à la morte saison, entre la Toussaint et Pâques, à raison de quatre ou cinq chaque année. Chaque mission durait environ un mois, mobilisant entre quatre et huit missionnaires, aidés par le clergé des environs. Les fidèles accourraient de toute la contrée, pour écouter les prédications, participer aux exercices liturgiques et recevoir les sacrements de Pénitence et d’Eucharistie.
En-dehors de ce temps, les missionnaires résidaient dans leur maison, où la journée était réglée comme celle d’un monastère, faisant alterner, entre 4 h 30 du matin et 21 h 45, récitation des Heures et du chapelet, oraisons, méditations, lectures spirituelles et conférences théologiques. S’y ajoutait l’apostolat auprès des nombreux pèlerins de ces sanctuaires mariaux qu’étaient l’Hermitage et Banelle. Les repas étaient pris en commun. Le tout, là encore, dans une atmosphère très éloignée du jansénisme, et dans la pratique d’une stricte pauvreté. Malheureusement, un incendie a détruit en 1950 les souvenirs du Père Gaschon conservés dans la chambre qu’il avait occupée à l’Hermitage.
Agrégé définitivement le 28 août 1769 avec trois autres prêtres, Jean-François se donna tout entier à cet apostolat qui lui convenait parfaitement. Il appuyait son ministère sur la prière et la pénitence, d’une manière qui en imposait aux paroissiens ; s’y ajoutait un don remarquable d’orateur populaire. Il prêchait volontiers en patois, avec une grande simplicité, « avec un naturel qui gagnait les esprits en subjuguant les cœurs », comme l’écrivait l’abbé Grivel, qui l’avait souvent entendu prêcher. Pendant longtemps, dans le pays, pour louer un prédicateur, on s’écriera : « On dirait le Père Gaschon ».
Le village de Lavaudieu, grâce à une grande croix de fer qui a survécu heureusement à la Révolution, garde la mémoire d’une mission fameuse, présidée par le Père Gaschon en 1779. En effet, elle commença très mal, par une épidémie qui se déclara soudainement dans le pays, faisant plusieurs victimes. Les habitants étaient prêts à chasser les missionnaires, auxquels ils attribuaient ce malheur. C’est alors que le Père Gaschon monta en chaire, pour adresser à Dieu une prière fervente afin que cessât le fléau, s’offrant lui-même en victime expiatoire, au point que l’assemblée éclata en sanglots… L’épidémie cessa, et la mission porta des fruits extraordinaires.
Mais le Père ne se laissait point satisfaire par de tels succès, bien au contraire : il se sentait si piètre ouvrier qu’il a raconté avoir été souvent tenté de présenter au Seigneur sa « démission de missionnaire ». Pourtant, dès ses premières missions, les gens ont vu dans le Père Gaschon un homme aux pouvoirs surnaturels, capable de remettre l’union et la paix partout, dans les villages aussi bien que dans les familles ; bref, l’homme qui a sanctifié le pays.
À l’Hermitage, les confrères du Père Gaschon avaient vite reconnu ses qualités exceptionnelles, qui en firent bientôt leur modèle et leur maître. On saura plus tard qu’il avait secrètement prié les frères lais de n’éveiller que lui en cas d’appel nocturne ; il y répondait même lorsqu’il était souffrant. Cependant, Jean-François résida aussi, notamment dans les années qui précédèrent la Révolution, en la maison de Banelle, près de Gannat ; comme l’Hermitage, c’était un lieu de pèlerinage à Notre-Dame célèbre dans la région. On y conservera le souvenir de la ponctualité et de la délicatesse avec lesquelles il exerça la charge d’« excitateur » – celui qui le matin réveille les endormis et apporte la lumière – de ses confrères[3].
C’est peut-être lors de ses trajets de l’une à l’autre maison qu’il rendait visite à son frère cadet, Louis, qui s’était établi avocat à Riom, où il se maria et fit une assez belle carrière. À cette époque, il n’avait plus à Auzelles que des cousins éloignés. Par contre, son frère Annet-Marie et ses cousins germains François et Louis, prêtres tous les trois, étaient demeurés dans les environs, respectivement à Échandelys, Saint-Bonnet-le-Bourg et Fournols.
Une caractéristique de la spiritualité du Père sera sa dévotion au Sacré-Cœur ; « dévotion si constante, écrit Henri Pourrat, qu’il n’a jamais fait un sermon sans parler de Lui, c’est-à-dire de cet amour que Dieu a pour les hommes. »[4] Toutes les croix qu’il fit ériger dans la région portent un cœur ; et à sa mort, on trouvera cette image du cœur mystérieusement gravée sur sa poitrine. Il avait aussi une grande dévotion à Marie : Notre-Dame d’Auzelles, de Banelle ou de Layre à Ambert, celle qui tient sur ses genoux son fils broyé par les supplices ; Notre-Dame de l’Hermitage, celle qui tient sur son bras l’Enfant resplendissant ; il aurait voulu que la vie des gens de son pays tienne quelque chose de la vie de Marie, de l’amour qu’elle a eu pour Dieu.
[1] La paroisse d’Olliergues comptait trois églises : la principale était Saint-Martin de La Chabasse, isolée sur le plateau ; elle avait deux annexes : Sainte-Marie d’Olliergues, ancienne chapelle castrale, située dans le bourg au bord de la Dore, et Saint-Pierre de Meymond (ou Meymont), petit hameau dominant la vallée de la Dore. Nous verrons que les deux prêtres se retrouveront dans cette paroisse à la fin de la Révolution.
[2] Michel Boy, op. cit., p.35.
[3] D’après les études les plus récentes, le P. Gaschon semble avoir résidé à Banelle de 1769 à 1774, puis être revenu à l’Hermitage de1775 à 1781, et être retourné à Banelle de 1782 à 1791.
[4] H. Pourrat, L’exorciste, p. 105. Cf. p. 109-110.