À la fin du XIXe siècle, le renouveau des deux maisons de la mission diocésaine où le Père Gaschon avait habité devait servir sa cause, en réveillant notamment sa mémoire au-delà de la région ambertoise et avant la dernière période de sa vie.
Notre-Dame de l’Hermitage, resté à l’abandon durant toute la première moitié du XIXe siècle, connut après 1850 plusieurs essais d’implantation de communautés religieuses qui échouèrent. C’est seulement en 1889 qu’arrivent les Missionnaires de La Salette, qui vont relancer le pèlerinage sous la direction de Mgr Bernard, ancien Préfet Apostolique de Norvège. Sur l’emplacement de l’ancienne église monastique complètement ruinée fut édifiée une petite « chapelle des Morts », dédiée notamment à la mémoire du Père Gaschon. Elle fut achevée en 1892, la parenté du missionnaire ayant assumé en grande partie les frais de son édification. En 1915, à l’occasion du centenaire de le mort de celui-ci, on orna l’intérieur de peintures murales où apparaissait la figure du bon Père.
À Banelle, désormais dans le diocèse de Moulins, les bâtiments avaient été aliénés au cours de la Révolution. Mais l’abbé Mandet, coadjuteur du curé d’Escurolles, se chargea en 1896 de restaurer le pèlerinage à Notre-Dame de Pitié. La petite chapelle fut solennellement réouverte au culte le 16 octobre 1897. La fête en est fixée au troisième dimanche de septembre, et l’on y évoque le souvenir du Père Gaschon.
En 1915, le centenaire de la mort du vénéré missionnaire va permettre, malgré la grande Guerre, de renouveler sa mémoire. C’est à Notre-Dame de l’Hermitage que commenceront les festivités. Chassés par les lois anticléricales du début du siècle, les Pères de la Salette avaient quitté les lieux – ils ne reviendront qu’en 1925 –. Durant ce temps, deux prêtres diocésains, les frères Gouttefangeas, auront la garde du pèlerinage. Ils rédigent hâtivement une Vie populaire du Père Gaschon [1], et, le 27 juin – le climat de la montagne ne permettant pas de le faire en novembre –, a lieu la bénédiction solennelle de la chapelle des Morts. Au cours de la Messe, le Père Gaschet, ancien supérieur de l’Hermitage, prononce un sermon centré sur les vertus du bon Père.
Dans le diocèse de Clermont, l’abbé Adam fait paraître la même année, dans La Semaine Religieuse de Clermont [2], le résultat de ses patientes recherches. Plusieurs auteurs avaient d’ailleurs fait paraître à la même époque des monographies sur le Père Gaschon. À Ambert, c’est le 28 novembre même qu’ont lieu les festivités : Messe le matin dans la chapelle de l’Hôpital – beaucoup trop petite pour la circonstance –, et panégyrique l’après-midi dans une église Saint-Jean bien remplie de fervents disciples du missionnaire.
Depuis quelques années cependant, plusieurs personnes songeaient à introduire la cause de béatification du Père Gaschon. C’était notamment le cas de l’abbé Planeix, supérieur de la Mission diocésaine, et surtout du frère Joseph Faron, Frère des Écoles Chrétiennes, qui enseigna dans plusieurs écoles de Rome, et put ainsi intéresser à cette cause plusieurs personnalités du Vatican. Lui-même édita en 1908 une image du Serviteur de Dieu, avec pour la première fois une prière pour demander sa glorification, prière dont le texte avait été composé par Mgr Angelo Mariani, alors Sous-Promoteur de la Foi. Mais la grande Guerre allait encore retarder la réalisation de ce dessein.
En 1921 enfin, Mgr François Marnas, évêque coadjuteur de Clermont depuis deux ans, succéda à Mgr Belmont. Il ne tarda pas à entreprendre les démarches pour introduire la cause du Père Gaschon auprès de la Congrégation des Rites. Il était particulièrement en communion d’esprit avec le Serviteur de Dieu, lui-même ayant été autrefois prêtre missionnaire ; en outre, il pouvait aussi escompter que l’exemple du Père mettrait en relief la vocation sacerdotale dans le diocèse, alors que le nombre des ordinations y avait bien diminué depuis 1907.
Après une enquête préliminaire faite en 1923, le « procès diocésain » sur la réputation de sainteté, les vertus et les miracles du Serviteur de Dieu François Gaschon se déroula du 15 avril 1924 au 9 novembre 1925. Sous la présidence de l’évêque de Clermont, le tribunal était composé de six ecclésiastiques résidant dans le diocèse. Mentionnons en particulier le R. Père Jean-Pierre Pertuis, Mariste professeur à Riom, Vice-Postulateur [3], et l’abbé Camille Pourreyron, aumônier de l’hôpital de Riom, Notaire. Le tribunal tint trente-neuf sessions, et reçut la déposition d’un grand nombre de témoins. En 1925 encore eut lieu le « procès pour l’examen des écrits », qui se limitaient à bien peu de chose : quelques lettres et quelques actes sur des registres paroissiaux. Enfin, en 1926 se tenait le « procès de non-culte », qui tint onze sessions ; il était destiné à constater qu’aucun « culte public et ecclésiastique » n’était rendu au Serviteur de Dieu, et que les manifestations de dévotion autour de son tombeau étaient strictement privées et spontanées de la part des fidèles.
L’année précédente, l’abbé Pourreyron avait publié à son tour la Vie du Serviteur de Dieu François Gaschon, essai de synthèse de ce qu’on savait alors sur le missionnaire, et notamment de ce qui avait été révélé lors du procès diocésain. Cet ouvrage connaîtra plusieurs éditions, et sera résumé par l’auteur en 1928 sous la forme d’une modeste plaquette illustrée. Simultanément, se multipliaient les articles et notices sur le bon Père dans la presse religieuse du diocèse ; tandis qu’à Ambert, l’annonce de l’introduction de sa cause avait suscité un enthousiasme général.
L’épais dossier informatif et les autres pièces requises avaient été transmis à Rome en 1926 et déposés au Secrétariat de la Congrégation des Rites. Mais en 1928, le Père Copéré démissionnait de sa charge de Postulateur romain pour raisons de santé. Il était remplacé par le Père Grimal, Assistant Général des Maristes, qui éprouvait quelques difficultés à remettre de l’ordre dans les dossiers. En 1932, le chanoine Pourreyron faisait le point sur l’avancement de la cause par un article paru dans le bulletin paroissial d’Ambert. Il en concluait qu’il fallait « s’armer de patience devant les sages lenteurs de la curie romaine […] ; se recueillir dans la prière pour demander que le diable ne fasse pas surgir d’obstacles à la glorification de celui qui lui fut un si dur adversaire ».
Le 11 septembre de la même année, Ambert célébrait avec faste le second centenaire de la naissance du Serviteur de Dieu. Y fut associé le Congrès diocésain de l’Œuvre des vocations, et le Jubilé sacerdotal de M. Ollier, archiprêtre d’Ambert. Mgr Marnas, malgré une santé très éprouvée – il devait décéder le 12 octobre –, célébra la Messe matinale à la chapelle de l’Hôpital. Il assista au trône à la Grand-messe solennelle célébrée par M. Ollier en l’église Saint-Jean ; le sermon y fut donné par Mgr Sembel, vicaire général et futur évêque de Dijon. L’après-midi, plusieurs orateurs, notamment le Père Grimal et le chanoine Pourreyron, se succédèrent sous le préau de l’école Saint-Joseph, devant une assistance évaluée à deux mille personnes. Dans la soirée, la cérémonie de clôture eut lieu à l’église ; le Père Bogros, missionnaire diocésain, y prononça un panégyrique du Père Gaschon – qui fut ensuite publié –, et Mgr Marnas donna la bénédiction du Très Saint Sacrement.
Le diocèse de Moulins organisa lui aussi une célébration du centenaire du Père Gaschon ; mais elle eut lieu seulement le 28 mai 1933, à Escurolles, dont dépendait Notre-Dame de Banelle. Présidée par Mgr Gonon, évêque de Moulins, elle commença par une Messe solennelle en présence de l’évêque assistant au trône ; celui-ci donna l’homélie, centrée sur l’apostolat du missionnaire de Banelle. L’après-midi eurent lieu les Vêpres solennelles et, sous une pluie battante, la procession du Saint-Sacrement.
Durant ces années, le procès en cour de Rome avançait avec lenteur. En 1936 y avait été publié le Summarium, résumé très détaillé du procès diocésain. Mais c’est seulement 4 mai 1937 qu’avait lieu l’examen des écrits, dont nous avons vu pourtant qu’ils se réduisent à bien peu de chose. Dans le diocèse de Clermont, le chanoine Pourreyron était décédé en 1936, et personne ne semble avoir cherché après lui à activer la cause. « Et – comme le dit Michel Boy – une seconde fois, la guerre vint interrompre le procès de notre artisan de paix. Diaboliquement. » [4]
À Rome, après la mort du Père Grimal survenue vers 1950, aucun Postulateur ne fut plus nommé. Pourtant, les tragiques événements de cette époque n’effacèrent pas la mémoire du bon Père. En témoignent l’image pittoresque réalisée par Henri Charlier à cette époque, puis, en 1954, la vie savoureuse du Père Gaschon publiée par Henri Pourrat sous le titre de L’exorciste.
Durant les quarante ans qui suivirent, plus rien ne se passa officiellement. La mémoire du Père Gaschon se maintenait toutefois parmi les fidèles de la région : il ne se passait pas de jour, au témoignage de la sœur sacristine de l’Hôpital, sans que l’un ou l’autre vînt implorer l’intercession de Serviteur de Dieu, en particulier pour ses proches hospitalisés. Les religieuses de l’Hôpital elles-mêmes conservent une grande confiance dans le bon Père, le priant et le faisant prier dans les cas graves.
On note pour cette époque deux cas particulièrement frappants de guérisons attribuées à son intercession. Tout d’abord celui de Lucienne Duret, épouse Vigier. Originaire de Saint-Martin des Olmes, elle est hospitalisée à Ambert en 1963, à l’âge de cinquante-deux ans, pour y être opérée d’une cholécystite aigüe ; mais elle a une défaillance cardiaque au cours de l’intervention. La religieuse anésthésiste la recommande au Père Gaschon : « Vous seul y pouvez quelque chose, bon Père Gaschon, priez pour nous, sauvez-la. » En terminant l’intervention, le chirurgien, le Dr Marcacci, a bien peu d’espoir. Et pourtant la malade s’est parfaitement remise, et vivait encore en 1990.
Le second cas est celui de Marie-Louise Chassaing. Âgée de soixante-deux ans, elle était hospitalisée depuis seize mois à Ambert, et fut enfin opérée en janvier 1974 par le Dr André Montgermont d’un cancer du rectum. Le chirurgien constate au cours de l’intervention que son cas est pratiquement désespéré, avec notamment des métastases au foie. Il hésite à poursuivre l’intervention, mais sur l’insistance de la sœur qui l’assiste, il arrive avec de grandes difficultés à rétablir une continuité intestinale artificielle. Voici un extrait de son attestation : « Estimant les chances de survie de cette malade nulles à brève échéance, je déclare devant plusieurs témoins à Sœur Marie-Bénédicte que si le Père Gaschon guérit cette malade j’irai lui porter 5 cierges car je considérerai qu’il s’agit d’un miracle. Contrairement à mes craintes, la malade récupéra rapidement un bon état général après l’intervention. […] Le 3/5/74, je repris cette malade sous anésthésie générale pour fermeture de son anus de dérivation et […] je pris sur moi de rouvrir la cicatrice médiane de la première intervention. A ma grande stupéfaction, je pus constater la disparition de toute trace de tumeur ou de récidive. Le foie était intact !! » Les examens de contrôle effectués en 1986 n’ont permis de déceler aucun retour de la maladie. Mme Chassaing est décédée à la fin de l’année 1987.
En 1974, Mgr Jean Dardel est nommé évêque de Clermont ; il le restera jusqu’en 1996. Au cours d’une visite ad limina, il lui est demandé si le diocèse va relancer la cause du Serviteur de Dieu François Gaschon. À son retour en Auvergne, il confie l’affaire à l’abbé Marcel Coste. Curé archiprêtre d’Ambert de 1958 à 1975 et Vicaire Épiscopal de 1975 à 1980, il appelait de tous ses vœux la reprise de la cause. Il va donc s’y consacrer avec zèle ; c’est lui notamment qui demandera à Michel Boy, Ambertois d’origine, philosophe et historien, d’écrire une nouvelle biographie du bon Père. Faisant le point avec sérieux sur ce que les documents et témoignages nous livrent à son sujet, l’ouvrage paraîtra en 1986 sous le titre : François Gaschon, Prêtre missionnaire.
En 1985 s’était créée, sous la présidence de l’abbé Gustave Bérard, curé d’Ambert, l’Association des Amis du Père Gaschon, dans le but d’œuvrer à la cause du bon Père et au maintien de sa mémoire. En 1987, Mgr Dardel demande officiellement au Père Marcel Martin d’être nouveau Postulateur de la cause ; il décédera malheureusement en janvier 1990. Dès le 13 décembre de la même année, un successeur lui est donné en la personne de l’abbé Charles Cauty Ancel, du diocèse de Nancy. Un dossier renouvelé avait été soigneusement préparé par l’abbé Gustave Bérard, et imprimé à Rome en 1991. Sur ce dossier s’est d’abord penchée une commission d’historiens, qui a donné un avis positif unanime le 26 mai 1992. Le dossier a ensuite été examiné par une commission de huit théologiens, qui ont conclu à l’unanimité à l’héroïcité des vertus du Père Gaschon lors de la séance du 6 mai 1997. Dernière étape en date : le Lundi Saint 6 Avril 1998, en présence du Pape Jean-Paul II, a été promulgué le Décret reconnaissant l’héroïcité des vertus du Serviteur de Dieu François Gaschon, honoré désormais du titre de Vénérable. Une étape importante a ainsi été franchie dans le processus qui doit conduire à sa béatification.
En vertu d’un rescrit de 2009, les postulateurs cessent désormais leur charge à partir de l’âge de quatre-vingts ans. Par conséquent, l’abbé Cauty Ancel n’est plus postulateur de la cause. Mgr Hippolyte Simon, actuel archevêque de Clermont, a donc demandé au T. R. Père Bertrand de Hédouville, Abbé de Randol, monastère bénédictin de la Congrégation de Solesmes présent dans le diocèse depuis 1971, si l’un de ses moines ne pourrait assurer la charge de postulateur diocésain. Le Père Abbé a acquiescé à cette demande, et a demandé au Père Bruno Samson s’il acceptait de s’en charger. Le Père Samson a été officiellement nommé par Mgr Simon le 5 septembre 2012.
[1] Abbés Gouttefangeas, Vie populaire du Père Gaschon, Ancien Missionnaire de N.-D. de l’Hermitage, (sans nom d’éditeur) 1915, 130 p.
[2] Abbé Adam, « Quelques notes et documents sur le Père Gaschon », La Semaine Religieuse de Clermont, 17 juillet 1915, p. 525-533.
[3] Le Postulateur, résidant à Rome, était le R. Père Louis Copéré, originaire de Thiers, et Procurateur général de la Société de Marie auprès du Saint-Siège.
[4] Michel Boy, p. 129.