Il y a, dans tout homme, un fond l’orgueil ou simplement d’amour-propre. Et l’on se dit : « Je veux faire figure de quelqu’un, réussir, monter… » Les voies sont diverses sur lesquelles on s’engage… On arrive au but, ou bien l’on s’arrête en route. Du reste, il n’importe. Un jour on meurt. On est peut-être pleuré quelque temps et puis l’on tombe dans l’oubli. Un nom reste gravé sur une tombe, il s’est effacé du souvenir des hommes.[1]
Voilà qui est humain.
Et voici qui ne l’est pas.
Certains ont renoncé à prendre pour inspirateur de leur vie, ce fond d’amour-propre qui est en nous tous. Ils ont eu d’eux-mêmes de très humbles sentiments. Ils ont voulu être ignorés. Ils se seraient plu à être méprisés.
Voyez un Curé d’Ars, voyez une Thérèse de l’Enfant-Jésus.
Leur vie a été toute de renoncement et d’humilité… Leur souvenir reste plus vivant que celui d’aucuns de ceux qui furent les plus grands parmi les hommes. Et ce souvenir s’auréole d’une gloire incomparable.
Cela est et ce n’est pas humain.
C’est du surnaturel, c’est du divin. C’est la réalisation toujours continuée de la parole sainte : Dieu exalte les humbles.
Il naquit, il y a deux cents ans, d’une humble famille de paysans d’Auzelles.
Vicaire à St-Amant-Roche-Savine, à La Chabasse, missionnaire diocésain, il s’appliqua, dans toute la force du terme, à être un bon prêtre. Et comme un autre, un peu son devancier, il s’estimait un « pauvre prêtre ».
Il avait dépassé la cinquantaine quand la Révolution éclata. Certains de ses confrères furent, hélas ! défaillants. D’autres, obéissant à la prudence, allèrent en exil. Lui, il resta. On savait qu’il était resté. Mais il était en telle vénération que jamais il ne fut dénoncé. Sans doute il se cachait, le jour — pas toujours tant que cela — mais tout le monde savait où le trouver. Et ceux qui emprisonnaient ou tuaient les prêtres, fermaient les yeux, pour ne pas le voir et n’avoir pas à l’arrêter.
Quand l’orage révolutionnaire se ut apaisé, le Père Gaschon se retira à Ambert. Il y vécut caché et pauvre, mais universellement vénéré.
Et, quand il mourut, un mot éclata : « Le saint était mort ! » La foule courut prier auprès de ses restes mortels, se disputant, comme des reliques, ses vêtements.
Ses obsèques furent un triomphe. Les mois passèrent, puis les années et l’affluence continua à son tombeau.
Le ciel y répondit par des guérisons, dont certaines semblent avoir été de vrais miracles.
Et la renommée portait très au loin la réputation de sainteté qu’avait laissée le P. Gaschon, avec le récit des guérisons qu’on attribuait à son intercession.
Un jour, le saint Curé d’Ars voyait venir à lui un pèlerin du Livradois. Il lui dit : « Qu’est-ce que vous venez faire par ici ? Vous avez, à Ambert, votre Père Gaschon ».
Le clergé n’a jamais rien fait pour attirer les pèlerins au tombeau. Plutôt le contraire. La prudence lui faisait une loi de se taire et il se taisait. Pas d’exhortations dans les chaires des églises. Pas de fêtes à la chapelle. Pas une inscription, pas un ex-voto.
Rien qu’une tombe nue, près de laquelle on venait s’agenouiller.
Le défilé a continué incessant. Il y a cent vingt ans qu’il dure.
Comment expliquer cela ? Pas autrement que de la façon suivante. Si l’on vient, c’est que les prières qu’on fait près de ce tombeau sont exaucées. Si elles le sont, c’est que Dieu agrée comme intercesseur près de Lui celui qui fut sur terre son fidèle serviteur.
Le peuple dit tout haut le mot qui explique tout : le Père Gaschon fut un saint.
Et voilà pourquoi la tombe du P. Gaschon reste, selon le mot de l’Ecriture :
On l’a bien vu, au cours des fêtes qui viennent d’être célébrées.
Durant le Triduum, la chapelle de l’Hospice n’a pas désempli.
Dimanche, c’est la foule qui est venue s’y agenouiller.
Foule venue de la ville et de la campagne, et de bien plus loin que les paroisses voisines. Comme nous repartions d’Ambert, dimanche soir, nous avons vu, stationné près de l’Hospice, un auto-car qui était venu de Montbrison, rempli de pèlerins.
Les fêtes commémoratives de la naissance du serviteur de Dieu furent splendides. Elles ne furent pas, et elles ne pouvaient être, avant que l’Eglise se soit prononcée, un culte officiel rendu à un bienheureux.
Elles furent la glorification du sacerdoce dont le P. Gaschon fut honoré et qu’il fit rayonner en lui de l’éclat splendide des vertus qu’il pratiqua.
Et toujours une fête du sacerdoce. M. le Curé d’Ambert fait, cette année, son cinquantenaire de sacerdoce.
Avoir eu, près de vingt mille fois, l’honneur d’offrir à l’autel le sacrifice rédempteur, cela compte pour un prêtre. Et, quand il en est arrivé à ce stade de sa vie, qui est le cinquantième anniversaire de sa consécration sacerdotale et de sa première messe, il est naturel qu’il commémore solennellement le grand jour de sa vie. Ne le voudrait-il pas que son peuple l’y obligerait.
Ce fut le cas pour M. le Curé d’Ambert.
Il fut décidé que les deux fêtes du sacerdoce seraient célébrées dans une même solennité.
Où de telles fêtes seraient-elles mieux comprises que dans le Livradois qu’on a, dimanche, et à juste titre, appelé « une terre eucharistique, une terre sacerdotale » ?
L’arrondissement d’Ambert, qui représente à peine le huitième de la population totale du département, ne fournit-il pas au diocèse de Clermont le tiers de ses prêtres ?
A 10 h. 20, M. l’Archiprêtre d’Ambert, revêtu des ornements sacerdotaux, et Mgr l’Evêque, sortaient du presbytère pour se rendre à l’église Saint-Jean.
Devant eux marchait un cortège de soixante prêtres.
Cortège magnifique et dans lequel, cependant, nous le disons sans détour, nous aurions aimé voir moins de mozettes et plus de surplis blancs, moins de chanoines et plus de vicaires.
Ce cortège, c’était en raccourci l’image du clergé d’aujourd’hui : peu de jeunes, une majorité de prêtres de plus de cinquante ans.
Il y avait jadis, dans le canton d’Ambert, 10 vicaires ; il n’en reste plus que trois.
Mais parce que les jeunes manquent, les vieillards tiennent magnifiquement. Il y avait, dans ce cortège, les trois curés du doyenné de St-Amant-Roche-Savine, car il n’en reste plus que trois sur cinq. Or, ces trois curés, quand ils additionnent leurs âges, arrivent au total de 244 ans !
Ce n’est donc pas dans le clergé qu’on réclame la retraite à 55 ans. On tient jusqu’au bout.
Le cortège s’avançait au milieu d’une foule respectueuse et recueillie, tandis que les magnifiques cloches de la « cathédrale » Saint-Jean sonnaient à toute volée.
Il fut accueilli à l’église par l’orgue, heureux de chanter par toutes ses voix, celui à qui il doit la vie.
L’église était splendidement illuminée et la foule immense.
La cérémonie se déroula dans une splendeur qui, même à Ambert où l’on fait si bien toute chose, était inouïe. Nous n’avons pas à la décrire, nous nous en voudrions cependant de ne pas signaler les chants exécutés par l’orgue : mélodies grégoriennes au cours de la cérémonie, cantate de la sortie.
Le sermon fut donné par Mgr Sembel, vicaire général, qui prit pour thème de son instruction ce sujet : Nécessité et détresse du sacerdoce.
Nécessité… Prédicateur de la parole de vérité, ministre du sacrifice rédempteur, dispensateur des pardons divins, c’est le prêtre qui maintient ce niveau moral, sans lequel le monde régresserait vers la barbarie. Le Curé d’Ars a dit : « Laissez une paroisse sans prêtre pendant vingt ans, et on y adorera les bêtes ». La présence des prêtres est donc nécessaire au monde. Mais, hélas ! les prêtres manquent aujourd’hui. En termes émouvants, Mgr Sembel jette un cri de détresse, mais auquel il ajoute un cri d’espoir. Car la situation s’améliore.
A la fin de sa magnifique allocution, il offre au vénéré jubilaire de ce jour, ses souhaits de vie encore longue dans un ministère toujours aussi actif. Puis, dans une prière ardente, il supplie le « saint P. Gaschon » de continuer au ciel son ministère, en suscitant des prêtres et de saints prêtres.
M. l’Archiprêtre reçut ses invités à l’Ecole libre.
Le menu fit honneur à l’hôtelier qui avait servi le repas. Mais il y avait bien mieux : la joie commune qu’on éprouvait d’avoir vu, en ce jour, célébrer si magnifiquement le sacerdoce.
Vint le moment des toasts.
C’est M. le Curé de Bertignat, premier maître de M. le Curé d’Ambert, qui ouvrit le feu. Son discours fut bref mais bien senti. Le souhait final du maître à son élève fut applaudi d’enthousiasme : « Je vous ordonne de suivre mon exemple ». M. le chanoine Pouyet voulait dire : « Allez à mes 88 ans ». L’assistance lui répondit : « Et vous à la centaine ! » Contentons-nous de nommer les autres orateurs : M. l’abbé Joubert, curé de Thiolières, parla au nom des prêtres du doyenné ; M. de Chaveheid, au nom de la paroisse d’Ambert ; M. le chanoine Mosnier, au nom des compatriotes de M. Ollier ; M. le Curé de Job, au nom des anciens vicaires d’Ambert ; M. le chanoine Pourreyron, comme ancien élève de M. l’Archiprêtre ; M. l’abbé Gagnaire, au nom des anciens élèves de Cellule ; M. Lagrange, au nom des doyens de l’arrondissement, tous présents. Son toast ayant une allure spéciale, nous le reproduisons :
Ce matin le soleil s’est levé radieux,
C’est fête sur la terre et fête dans les cieux.
Pour un même hommage
Sur la même page
On lit en lettres d’or
Le nom du saint Prédicateur
Qui jadis gravit nos montagnes,
On lit le nom du vénéré pasteur
Qui, par monts et par vaux, galope encor.
Citadins de la ville,
Paysans, villageois,
De l’immense famille
Du Livradois
Unissez, dans un même amour
Sous la même couronne de lauriers
Unissez en ce jour
Le Saint Père Gaschon et l’Archiprêtre Ollier.
Ville d’Ambert, lève-toi toute entière
Et de tes deux prêtres sois fière.
Célèbre la mémoire
De celui qui sera son haut titre de gloire.
Oui ! le bon Père Gaschon
De ta couronne est le plus beau fleuron !
Réjouis-toi : Bientôt, ta noble Basilique
Recueillera d’un saint la précieuse relique !
Ce jour-là, le soleil brillera radieux
Ce sera fête sur terre et dans les cieux
Ce jour-là, les orgues de l’archiprêtre Ollier
Interprêteront d’une façon magistrale
La marche triomphale
De Chabrier
A tous, M. le Curé d’Ambert répondit en termes très délicats. Puis, avec émotion, il dit à qui il devait sa vocation : à sa mère, qui l’avait encouragé à se faire prêtre et qui ne cessait de recommander sa vocation au saint P. Gaschon.
Mgr l’Evêque remercia M. le Curé d’avoir rappelé le souvenir de sa mère. Ce sont, en effet, les mères qui font les prêtres. Il dit ensuite sa joie d’avoir vu célébrer si magnifiquement la mémoire du prêtre qui est la gloire d’Ambert et de tout le diocèse et que, nous aurons un jour, il faut l’espérer, la joie de compter parmi les bienheureux que l’Eglise place sur les autels.
II était naturel, qu’en ce jour où l’on célèbre la glorieuse mémoire du saint prêtre que notre région donna au diocèse, on se demandât quelle a été la part, jadis et aujourd’hui, du Livradois dans le recrutement sacerdotal.
M. le chanoine Bernard l’a dit, dans la réunion de l’après-midi, tenue sous le vaste préau de l’Ecole libre et à laquelle assistaient deux mille personnes.
Jadis, les familles se faisaient un honneur de donner l’un au moins de leurs fils à l’Eglise. Dans certaines, la tradition se conservait de génération en génération. Aussi, le Livradois, petite région de l’Auvergne, fournissait au diocèse de Clermont à peu près le tiers de ses prêtres.
Aujourd’hui, il y a fléchissement, pas plus qu’ailleurs mais autant. Le rapporteur en dit les raisons : diminution du nombre des enfants, lois persécutrices de Combes, fermeture d’écoles libres, guerre…
Mais cela est déjà le passé : l’avenir s’annonce meilleur, et l’arrondissement d’Ambert restera la nouvelle Galilée, où le Christ recrutera ses apôtres.
M. Bernard achève son magnifique rapport par un ardent appel aux pères et mères de famille à répondre généreusement : oui, quand Dieu leur demandera un de leurs fils pour le service des autels.
M. le Curé de Marsac a fait surtout appel aux mères. Le R. P. Grimal, postulateur de la Cause du Père Gaschon, qui assistait aux fêtes, s’empare du mot et il parle des mères des prêtres. Il dit l’honneur que Dieu leur fait, en leur demandant, pour être les coopérateurs et continuateurs du Christ, ceux qui sont la chair de leur chair, le sang .de leur sang. Il les exhorte vivement à devenir mères de prêtres.
Il dit, d’autre part, la joie très grande qu’il a eue d’assister aux fêtes du P. Gaschon. Il a senti que l’« éminent serviteur de Dieu » était déjà véritablement canonisé par le peuple.
Ce témoignage l’encourage à poursuivre plus activement que jamais, la Cause de la Béatification.
Peut-être, pourra-t-on obtenir que certaines formalités soient supprimées, parce que le P. Gaschon jouit véritablement de la réputation de sainteté.
Et c’est ce qu’établit M. le chanoine Pourreyron, dans une causerie très attachante. Il dit comment les populations, depuis cent vingt ans, ont rendu témoignage à la sainteté du P. Gaschon. C’est parce que ce témoignage se continuait, que Mgr l’Evêque a demandé l’introduction de la Cause. Déjà, un premier tribunal a siégé et a entendu les témoignages les plus décisifs. M. Pourreyron en cite de très pittoresques.
Mgr l’Evêque prend ensuite la parole. Il résume ce qui a été dit, et il recommande l’œuvre du recrutement sacerdotal aux mères qui l’entendent et au P. Gaschon, dont on célèbre aujourd’hui la glorieuse mémoire.
Nous permettra-t-on de citer ici un fait, que les rapporteurs n’ont pas rappelé.
Aux jours de la Révolution, le P. Gaschon avait souvent trouvé asile dans une maison des environs du Brugeron. En remerciement à ceux qui lui avaient été si dévoués, il dit un jour : « Dieu vous bénira de ce que vous avez fait pour son prêtre… » Dans les trois générations qui suivirent, cette famille donna à Dieu cinq prêtres et cinq religieuses.
A 4 heures et demie, la foule était encore plus dense que le matin à l’église. Il y avait du monde: dans tous les coins… et beaucoup dehors.
C’est devant cet immense auditoire que M. l’abbé Bogros prononça le panégyrique du bienheureux P. Gaschon. Il parla de la beauté de son âme et de son rayonnement apostolique.
Nous voudrions résumer, mais nous constatons que déjà, bien des pages de compte-rendu sont alignées devant nous. Et nous nous contentons de dire que le panégyrique fut très beau et écouté avec le plus vif intérêt.
Il y aurait, à notre avis, à faire mieux du discours de M. Bogros ; ce serait de le publier en brochure et de le répandre par milliers… Qu’en pense-t-on ?
La bénédiction du T. S. Sacrement, donnée par Mgr l’Evêque, clôtura ces fêtes magnifiques.
[1] Article de La Croix du Puy-de-Dôme, du dimanche 18 septembre 1932 (?), 42e Année, N° 36, p. 1-2 (La coupure du journal a le titre et la date coupés).
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