C’est alors que, malgré ses défauts, se multiplient les éditions du livre de Seguin (la dernière sera datée de 1841). En même temps, les colporteurs diffusent de toutes parts des images populaires, que l’on retrouvera jusqu’à nos jours dans beaucoup de fermes. Ce fut tout d’abord celle de Seguin, mais elle semble avoir été rapidement supplantée par une copie coloriée qu’en fit le célèbre imprimeur Pellerin à Épinal. Il supprima ce qui concernait Notre-Dame de Layre (mais de ce fait, on ne comprend plus vers qui sont tournés tous les personnages), et recopia, autour de l’image redessinée du Père Gaschon, le « Cantique spirituel » et le « Détail des miracles ». Et dès 1826, il publiait une seconde image, de facture beaucoup plus savante, où l’on voit le missionnaire âgé, cette fois-ci à nouveau en prière devant la statue de Notre-Dame de Layre. Des ex-voto sont accrochés aux colonnes de la chapelle, au centre de laquelle se trouve la tombe du Père ornée d’un calice ; en bas de l’image sont représentés dans une attitude de supplication une dizaine de personnages de toutes conditions en costumes d’époque. La première image de Pellerin sera reprise à son tour par l’imprimeur Deckherr à Montbéliard (seul la représentation du Père est différente), ainsi que par la maison Brunet fils et Fonville à Lyon, qui se contentera de publier l’image du Père redessinée, toujours une croix à la main, un cœur sur la poitrine, debout devant un autel, un ange au-dessus de la tête.
Pendant tout le siècle, le rôle des religieuses de l’Hôpital fut très important. La première Supérieure, Sœur Saint-François, allait disparaître en 1828. Lui succéda une de ses premières compagnes, Sœur La Croix (Madeleine Roche), qui demeura en fonction jusqu’en 1842. La troisième Supérieure, qui démissionna en 1847, fut Sœur Saint-Joseph (Virginie Dorat), nièce de la première. Toutes trois, comme les autres sœurs de la communauté, vénéraient profondément le Père Gaschon, que beaucoup avaient connu personnellement. Mais formées sur place, peu instruites, elles ne suffisaient pas à assurer une gestion rigoureuse de l’hôpital, ni non plus à propager de façon objective la renommée de celui qu’elles considéraient comme leur saint protecteur.
Les choses changèrent en 1847, lorque la Supérieure Générale de la Congrégation de Saint-Joseph du Bon Pasteur envoie à Ambert, comme Supérieure et Économe, Mère Éléonore Pélossieux. Malgré son jeune âge – elle avait vingt-deux ans –, la nouvelle supérieure prit en main avec fermeté la gestion de la maison, qu’elle dirigera jusqu’à sa mort survenue en 1902. Bien que n’ayant pas connu personnellement le Père Gaschon, elle gardera toujours une grande confiance en lui, confiance qui la soutiendra dans les grands travaux qu’elle entreprendra pour faire de la maison un hôpital digne de ce nom.
Mentionnons en second lieu les aumôniers de l’Hôpital et les biographes du Père Gaschon. De 1815 à 1843, le service de l’aumônerie fut assuré par des prêtres de la paroisse, qui donc ne résidaient pas sur place. Il y eut toutefois, semble-t-il entre 1825 et 1838, un prêtre résident, l’abbé Pierre Charet ; mais ses antécédents peu glorieux sous la Révolution et l’Empire firent qu’il n’eut qu’un rôle très effacé.
De 1843 à 1870, ce fut l’abbé Jean-Baptiste Preyssat, qui exerça ce ministère en parfait accord avec les religieuses et les administrateurs de l’Hôpital, tout en jouissant de la vénération des édiles et de la population ambertoise. À la demande des sœurs, il publiera en 1856 une Vie du Vénérable Père Gaschon ; conçue comme le vade-mecum du parfait pèlerin, et plus sérieuse que celle de l’imprimeur Seguin, elle souffrait toutefois d’assez graves lacunes.
Cet ouvrage entrait en concurrence avec celui de l’abbé Grivel, Le Père Gaschon, vie d’un Missionnaire d’Auvergne, écrit de circonstance publié à l’occasion du Jubilé et de la mission d’Ambert de 1851. Né en 1799, l’auteur avait souvent servi d’enfant de chœur au missionnaire, et demeurait très lié à sa famille. C’était donc l’ouvrage d’un homme qui avait connu personnellement le Père Gaschon ; c’est pourquoi il demeure fondamental pour une connaissance exacte du Serviteur de Dieu. Mais comme cet écrit était très incomplet, l’abbé en fit une édition refondue en 1857. De son côté, l’abbé Preyssat fera lui aussi une refonte de son livre en 1863, pour tenir compte des critiques exprimées par l’abbé Grivel. Sainte compétition, qui nous permet d’avoir des renseignements sur le Père Gaschon puisés aux meilleures sources !
De 1871 à 1906, l’aumônier en titre de l’Hôpital fut l’abbé Pierre Pourrat, ancien Jésuite. Très sceptique vis-à-vis des faveurs obtenues par l’intercession du Père Gaschon, il dissuada les religieuses de les noter ; c’est pourquoi les documents écrits sur cette époque font gravement défaut.
Par dévotion envers le Père Gaschon, Mère Éléonore voulut commencer les travaux d’amélioration de l’Hôpital par la chapelle. Elle y fut puissamment aidée par M. Dupuy-Imberdis, membre du Conseil d’Administration de l’Hôpital, depuis 1838 jusqu’à sa mort soudaine survenue en 1871. Les travaux purent commencer dès 1849, grâce à un don généreux : on refit la toiture, on dalla le sol, et l’on suréleva le chœur, qui fut séparé du reste de la chapelle par une balustrade. À cette occasion, on exhuma pour la seconde fois le corps du Père Gaschon, dont on trouva le visage si parfaitement conservé que M. Dupuy-Imberdis put en faire une esquisse. Ce dessin devait dès lors servir de modèle à toutes les représentations postérieures, notamment à un petit buste en plâtre que fit réaliser Mère Éléonore en 1866. Ces travaux furent achevés en 1851 ; et en 1866, un legs de cinq mille francs effectué par M. Châtelus permit d’entreprendre un autre projet, demeuré jusqu’alors irréalisé faute des fonds nécessaires : la réfection de la façade de la chapelle. La décoration intérieure de la chapelle, telle que nous la connaissons aujourd’hui, fut réalisée entre 1855 et 1863.
Durant toute cette période, les pèlerins, seuls ou en groupe, continuent à se rendre au tombeau du « Bon Père Gaschon ». Mais, alors que la fête de l’Hôpital était la Saint-Roch, le 16 août, c’est surtout à la Fête-Dieu que les pèlerins avaient pris l’habitude de se rassembler autour du tombeau du missionnaire : c’était en effet depuis un temps immémorial la fête paroissiale d’Ambert. À cette occasion, la façade de l’Hôpital était pavoisée, on y venait en procession, et l’on tirait un feu d’artifice. On vient prier le Père, baiser sa tombe. « Sa mémoire, écrit l’abbé Preyssat en 1863, est aussi fraîche, aussi vivante dans le cœur des habitants de nos campagnes que si le cercueil ne venait que de se fermer sur ces restes vénérés. […] C’est un ami dont le souvenir est toujours cher ; c’est un absent dont on parle avec plaisir ; c’est un bienfaiteur dont on aime à rappeler les services et les bontés… » [1]
Malgré la pauvreté des archives durant le temps où l’abbé Pourrat fut aumônier de l’Hôpital, on peut recenser pour cette période une quarantaine de cas de guérisons extraordinaires ; et, malgré les défenses ecclésiastiques, on continuait à porter des enfants mort-nés sur la tombe du Père. La plupart des cas signalés se répartissent à présent dans un périmètre de 50 km autour d’Ambert. Ils concernent pour l’essentiel des maladies des yeux et des oreilles, ainsi que des paralysies et des troubles neuro-psychologiques. Fréquents sont alors les cas de guérisons d’enfants qui ne marchent pas ; béquilles et chaises s’accumulent dans la chapelle, laissées là en ex-voto.
Parmi les cas de guérison, celui de Marie Tronel, du village de Chouzet sur la commune de Saint-Anthème, survenu en 1850, est resté célèbre, à cause du sérieux avec lequel a été constitué le dossier du médecin traitant, le Docteur Perret. Cette jeune fille de 18 ans avait été atteinte en février 1849 d’une péritonite tuberculeuse avec ascite, puis d’une phlébite avec paralysie du côté droit ; le 27 mai 1850, paralysée et sans connaissance, elle était jugée comme perdue par le médecin et tous les confrères qu’il avait amenés à son chevet. Se rappelant le désir qu’elle avait manifesté de se rendre sur la tombe du Père Gaschon, ses parents prirent la résolution de l’y conduire, malgré la gravité de son état. Le docteur ajoute que, ne l’ayant pas accompagnée, il ignore ce qui s’y est passé ; mais que le lendemain même, il la revoyait complètement guérie, et qu’elle demeura depuis en bonne santé.
Durant tout le XIXe siècle, on se transmit aussi précieusement de petits scapulaires, dans lesquels avaient été enfermés quelques fragments des vêtements du vénéré missionnaire. On sait encore que les conscrits avaient pris l’habitude de venir implorer le Père Gaschon avant le tirage au sort ; de même, durant la Grande Guerre, de nombreux soldats vinrent le prier au moment de partir au front.